jeudi 22 octobre 2009

L’Organisation de Coopération de Shanghai se réunit à Pékin


Une analyse de Charles Hudon

Le 14 octobre dernier, avait lieu à Pékin une réunion du Conseil des chefs de gouvernements des États membres de l'Organisation de Coopération de Shanghai (OCS). Les questions qui y furent discutées vinrent rappeler que, sous des apparences d’harmonie complète, des divergences profondes divisent encore la Chine et la Russie sur des thèmes cruciaux qui empêchent l’organisation d’atteindre sa pleine maturité.



Un appel des talibans

Pour le moins surprenante est la lettre ouverte evoyée par les Talibans aux membres de l’OCS: “We call on the Shanghai Cooperation Organization to assist countries in the region against colonialists and adopt a strong stance against the occupation of Afghanistan.” Le vice-président afghan étant présent à la réunion en tant que membre du « Groupe de Contact pour l’Afghanistan», la tentative talibane n’avait évidemment que très peu de chances de porter fruit. Cette lettre peut cependant être vue comme un effort d’exploiter les différents qui subsistent entre la Chine et la Russie à propos du volet militaire de l’Organisation en l’incitant à prendre une position anti-Washington claire.

Pour la Russie, l'utilité principale de l'OCS serait de former une union militaire capable de contrebalancer l’influence étasunienne en Asie centrale. Idéalement, la Russie voudrait que l’OCS se dresse en contrepoids face aux visées expansionnistes de l’OTAN. À l’évidence, la Russie n’a qu’un intérêt très limité à discuter d’intégration économique de façon multilatérale avec ces pays. Riche en ressources naturelles, elle arrive facilement à régler ses accords commerciaux de façon bilatérale.

Bien que Pékin ne discarte pas complètement la possibilité que l’Organisation puisse un jour jouer le rôle souhaité par Moscou, pour la Chine, l’heure n’est pas à la confrontation. Partant de la prémisse que la modernisation de la Chine et sa transformation en une puissance globale exige un maximum de stabilité tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de ses frontières, Pékin cherche à établir de bonnes relations avec toutes les grandes puissances du monde. La Chine est pleinement consciente de ce que la participation à une organisation ouvertement anti-étasunienne signifierait pour ses relations avec l'Occident, qui demeure aujourd’hui encore son principal partenaire commercial.

Bien qu’ayant suscitée de vives discussions, la tentative talibane ne parvint pas à faire bouger la position de l’Organisation d’un iota. Sous le couvert de l’anonymat, un fonctionnaire présent à la réunion confiait que « l’Organisation de Shanghai n’a rien à voir avec les Talibans. L’opposition au terrorisme est un principe inébranlable de l’Organisation». Alors que la guerre d’invasion menée par l’OTAN en Afghanistan déborde de plus en plus fréquemment en territoire pakistanais, allié traditionnel de la Chine et membre observateur de l’OCS, il est intéressant de constater que la Chine n’ait pas profité de l’occasion pour passer un message.

Même l’opinion publique chinoise conservait une forte position pacifiste. Un sondage publié le 17 octobre dernier révélait que 70% des Chinois interrogés se montraient défavorables à l’idée de voir l’OCS intervenir militairement en Afghanistan. Bien que Moscou aurait sans doute aimé voir naître de cette réunion un nouveau consensus militaire, répondre à l’appel des Talibans représentait définitivement un pari trop dangereux.

L’économie avant tout

La crise économique mondiale continuant de menacer les économies d’Asie Centrale, la Chine était en meilleure posture que la Russie pour faire avancer son agenda au sein de l’OCS. Bien que la réunion ne donna pas lieu à des engagements de prêts spectaculaires, comme ce fut le cas lors du dernier sommet qui eut lieu en juin dernier en Russie, la Chine sut tout de même profiter de l’occasion pour consolider son rôle de leader économique positif dans la région.

À titre de faits marquants, on retiendra le rôle actif de la Chine par rapport à l’accélération du processus de libéralisation du commerce et de l’investissement entre les membres de l’OCS. Elle a préconisé la mise sur pied de projets pouvant bénéficier à l’ensemble des pays membres : le renforcement des réseaux d'infrastructures de transport, des systèmes de communication et de collaboration énergétique. La Chine a également soumis une proposition en sept points visant à renforcer la coopération régionale entre les pays membres. Cette proposition vise à accentuer la coopération fiscale, à favoriser les échanges sur les politiques financières et monétaires des pays membres ainsi que de mettre en place des mesures visant l'amélioration du système de règlement des échanges internationaux. La réunion a aussi permis de s’entendre afin d’accélérer l'ouverture d'un compte spécial visant à résoudre les problèmes de financement de projets de coopération importants pour l’OCS.

Ce contexte met en évidence le fait que pour Pékin, l’OCS est principalement un instrument multilatéral permettant de projeter son influence. Avec son message de pan-régionalisme positif, l'OCS permet de légitimer l'entrée de la Chine comme un acteur majeur en Asie centrale (ainsi que de lui assurer un approvisionnement stable en ressources naturelles). Le déploiement de ce « soft power » à la chinoise ne fait pas particulièrement l’affaire de Moscou. Encore aujourd’hui, la Russie voit l'Asie centrale du point de vue d’un ancien maître impérial. Elle conserve une mentalité fortement patrimoniale et voit la région comme une de ses sphères d'influence de première importance. Face aux prêts à faibles taux d'intérêt ainsi qu’aux programmes de développement d’infrastructures en provenance de la Chine, la Russie comprend cependant qu’elle ne fait tout simplement pas le poids. En résulte une tendance à vouloir travailler au sein de l'OCS pour contrecarrer les tentatives de Pékin visant à faire évoluer l’Organisation dans une direction plus économique. En parallèle, face à la réticence de Pékin à l’idée d’une OCS plus militariste, Moscou tente de superposer la Collective Security Treaty Organisation (CSTO), organisation dont la Chine ne fait pas partie, à l’OCS. Le CSTO comprend la Russie, l'Arménie, le Belarus, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan. Contrairement à l'OCS, ce traité a une capacité de défense mutuelle : une force de réaction rapide de 4000 soldats.

Les relations qu’entretiennent la Russie et la Chine au sein de l’OCS démontrent que ces deux voisins, bien que partenaires, ont des visions contrastées du monde, de différentes approches en politique étrangère et des priorités très souvent contradictoires. Bien que les deux géants voient en l’OCS un outil efficace pour faire la promotion de leurs intérêts respectifs, il apparaît clair que ceux-ci ne se rejoignent pas toujours autant qu’ils le voudraient. La crise économique mondiale a déjà forcé Moscou à faire des compromis face aux prétentions de Pékin à parrainer économiquement l’Organisation. L’évolution de la situation géopolitique en Asie pourrait bientôt amener Pékin à faire à son tour des concessions pour un plus grand niveau d’intégration militaire au sein de l’OCS.

Par exemple, comment réagirait l’Organisation de Shanghai si l’OTAN en venait à entrer officiellement en conflit avec le Pakistan? Bien que ne bénéficiant pas du statut de membre officiel de l’Organisation, cet allié traditionnel de la Chine jouit tout de même du statut d’observateur officiel depuis 2005. Partageant une frontière commune avec l’Empire du Milieu, un pareil dénouement pourrait forcer Pékin à revoir sa position quant à la militarisation de l’OCS. De la même façon, les convictions pacifistes chinoises seraient aussi sans doute solidement mises à l’épreuve si Washington devait un jour entrer en conflit avec l’Iran, pays observateur à l’OCS chez qui elle importe plus de 15% de sa consommation quotidienne de pétrole.
Pour l'instant par contre, force est de constater que la Chine se comporte de façon responsable en Asie Centrale. Il semble présentement n’y avoir que très peu d’indices pouvant laisser penser que la Chine voudrait éventuellement utiliser l'OCS comme un instrument servant des objectifs néo-impériaux. Pékin semble plutôt vouloir utiliser l'Organisation comme un moyen de minimiser l'influence russe, facteur pouvant éventuellement mener à une diminution de tension à l’échelle mondiale.

Charles Hudon, à Kunming

Aucun commentaire: