lundi 22 juin 2009

Yu Dan: Le confucianisme à la portée de tous



En Chine, une nouvelle étoile est née, et ce n’est pas une star du hip hop ou une nouvelle télésérie réalité qui se retrouve au sommet de tous les palmarès. Non, c’est Yu Dan, professeur de média à l’université normale de Pékin. Son succès? Parler de Confucius de façon simple et claire, en l’actualisant et en l’adaptant à la vie chinoise moderne. Au rythme d’une heure par jour, ses sept conférences télévisées attirèrent un auditoire si nombreux qu’on décida d’en faire un livre, qui brisa tous les records de vente. Mais alors qu’à une époque encore pas si lointaine, parler en bien de Confucius représentait un geste politiquement risqué, comment expliquer ce soudain revirement dans l’empire du milieu? Comment expliquer cette redécouverte si passionnée?

En écoutant la conférence de Yu Dan, on comprend vite que ce n’est pas vraiment de philosophie classique dont il est question, mais bien d’une allocution qui s’appuie sur Confucius pour vendre des idées presque « nouvel âge » sur l’art de vivre, le bien-être personnel, l’amour et la tolérance. Alors qu’au cours des dernières années, bon nombre de Chinois ont littéralement mis leur vie de côté au profit d’une course au succès matériel effrénée, Yu Dan trouve tout naturellement plusieurs oreilles attentives. Confucius est utilisé comme médium, et non comme objet, et ce qui ne correspond pas à la vision de Yu Dan des relations interpersonnelles, de la connaissance de soi et de la poursuite du bonheur est tout simplement mis à l’écart. Bien que Confucius soit omniprésent dans son discours, il semblerait que c’est plus la fonction « chicken soup for the soul » qui explique la démesure de son succès. Et comme la vaste majorité des Chinois n’ont jamais lu Confucius, plusieurs n’y ont vu que du feu.

mardi 16 juin 2009

Veille d’information en études chinoises



Il suffit de feuilleter le Wall Street Journal, le Financial Times, n’importe quel journal d’affaires pour le constater : la crise économique qui secoue la planète ne fait qu’accélérer la montée de la Chine. Nous apprenons aujourd’hui, par exemple, que la China va accorder un crédit de 10 milliards de dollars US à l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), qui regroupe la Russie, la Chine et des pays d'Asie centrale, pour faire face aux conséquences de la crise. L’expansion du pouvoir et de l’influence de la Chine est accompagnée, tout le monde le sait, par une révolution en matière d’informations et de communications—une révolution, d’ailleurs, où la Chine joue, quelle surprise, un rôle majeur.

Que faire pour se tenir au courant de ce qui se passe en Chine? Pour relever ce défi, le blogue est fier de vous recommander un nouvel outil, mis au point par Pascale Coulette, bibliothécaire au Centre d’études de l’Asie de l’Est de l’Université de Montréal. Intitulé « Veille d’information en études chinoises, » l’outil est construit sur la plate-forme « Netvibes », un aggrégateur d’informations à la fois puissant et facile à utiliser; il fournit de multiples fils d’information sur l’actualité chinoise. Sur la page d’accueil se trouvent des explications sur le fonctionnement du Netvibes et sur les fils RSS pour les néophytes. Viennent ensuite:

« Quoi de neuf dans les revues » où sont regroupées des revues académiques sur la Chine, en français et en anglais;

« Quoi de neuf dans la presse » qui suit l’actualité chinoise à travers les fils d’information en français, anglais et chinois;

« Quoi de neuf sur les blogues » où sont répertoriés les blogues les plus importants sur la Chine en français, anglais et chinois;

« Bases de données et RSS » qui permet à l’usager d’être tenu au courant des toutes dernières publications sur un sujet de recherche, en créant des alertes en format RSS dans certaines bases de données bibliographiques;

« Partage de signets », qui s’adresse aux sinologues désirant partager leurs intérêts et leurs recherches sur la Chine par l’entremise d’outils de réseautage;

« Veille sino-doc », qui s’adresse aux férus de bibliothéconomie chinoise.

Et ce n’est pas tout. « Veille d’information en études chinoises », aussi impressionnante qu’elle le soit déjà, n’est pas un outil rigide, mais une plate-forme souple, une invitation pour l’usager à créer son propre outil de recherche, adapté à ses besoins, tout en s’inspirant de ce que Pascale Coulette lui a déjà fourni. Il suffit d’ouvrir son propre compte sur Netvibes et de prendre comme base le « gabarit » fourni par le site http://netvibes.com/sinologie. Rien de plus simple.

David Ownby, à Montréal

jeudi 11 juin 2009

Alerte sur nez coulants: autopsie d'une pandémie annoncée


La nouvelle vient de tomber!
Douze nouveaux cas de grippe H1N1 ont été découverts au très élitiste St-Paul's Convent de l'île d'Hong Kong cette semaine. Premières victimes indigènes de la maladie--- aucun des malades n'a quitté Hong Kong dans les dernières semaines, elles s'ajoutent à la cinquantaine de cas déjà répertoriés sur le territoire. Click here for English.

Aujourd’hui, 11 juin 2009, l'Organisation mondiale de la Santé a élevé à 6 le niveau de gravité de la pandémie. Puis, en début d’après-midi, les autorités hongkongaises ont annoncé par voie de communiqué la fermeture en masse de toutes les institutions scolaires primaires de l’archipel. Ce sont plus de 500 000 élèves qui sont touchées par cette mesure. On peut lire un article très complet à ce sujet ici

Pour les 2 prochaines semaines, les salles de cinéma d’Hong Kong seront bondées du lundi au vendredi. Les patinoires, autrement vides en semaine, seront envahies par de petits patineurs débutants. Les plages de la ville deviendront bruyantes.

Pour les 2 prochaines semaines, des dizaines de milliers d’écoliers de toutes les écoles primaires d’Hong Kong seront privés d’école (sic). Action, réaction!

Qu’en disent les parents de la ville? Imaginez, tous les jeunes de moins de 12 ans à la maison deux semaines avant le début des vacances! Quoi faire? Qui va s’en occuper? De pareilles interrogations causeraient une commotion générale chez les parents québécois.

Certes, la situation d’Hong Kong est assez différente. Plus de 10% des familles ont une bonne à la maison. Mais pour les autres? Comment s’organiser avec si peu de préavis? N’était-ce une mesure exagérée qui ne tient pas compte de la situation des parents-travailleurs?


Hong Kong : vivre dans une boîte de sardines

C’est que depuis la crise du SARS de 2004, Hong Kong ne lésine pas en matière de mesures sanitaires. L'archipel qui compte en moyenne 6000 habitants par kilomètre carrée est un lieu de promiscuité incomparable. Un paradis pour virus.

Le port du masque est obligatoire dans la majorité des hôpitaux et les cliniques d’Hong Kong. Les distributrices de désinfectant liquide abondent dans tous les lieux publics et les quartiers résidentiels. Les boutons d'ascenseurs sont stérilisés plusieurs fois par jour. Les frontières du pays sont surveillées par une équipe d'infirmières. La température corporelle des nouveaux visiteurs est scrutée.

Avoir une mauvaise toux à Hong Kong, c'est un suicide social. On sent les reproches des passants. Une vieille dame m'a même déjà forcé à mettre un masque en me grondant comme un enfant en pleine rue.

C'est dans cet atmosphère un peu paranoïaque que s'inscrit les mesures gouvernementales récentes pour éviter la pandémie.


Lorsque le premier cas de grippe H1N1 fut découvert en avril 2009, le gouvernement n’a pas hésité à mettre en quarantaine un hôtel entier et son personnel pour une période d'une semaine. Les allées et venues du touriste mexicain pendant sa journée à Hong Kong furent scrutés par tous les tabloids de la ville. Au Metropark, le lobby s’est rapidement transformé en scène de télé réalité. De jeunes touristes enfermés réclamaient des discussions téléphoniques avec le public massé à l’extérieur. Vous pouvez les regarder en pleine action ici. Un vrai cirque. Le gouvernement d’Hong Kong avait d’ailleurs été longuement critiqué pour l’imposition de telles mesures considérées d'exagérées par plusieurs.

Puis, durant les mois d’avril et de mai, quelques jeunes étudiants d’Hong Kong rapportaient sur Facebook et sur Twitter leur mise en quarantaine dès leur retour de leur séjour d'étude. Une étampe du Canada ou des États-Unis n’avaient jamais été autant de mauvais augure.

Quand un virus devient le sujet d'un débat patriotique
À lire les blogues chinois ces dernières semaines, réagir avec efficacité à la grippe H1N1 est une question de fierté nationale. Tous les instruments technologiques sont d'ailleurs mis au profit d'une campagne d'information sur la grippe H1N1. Lire ici sur l'usage de Twitter et ici sur l'historique de la pandémie en Chine. Plusieurs Chinois en ont même appelé à leurs ressortissants étudiant ou travaillant en Amérique du Nord de ne pas retourner au pays pour l’été.

En ce sens, Hong Kong donne l’exemple et se sert des leçons apprises au plus haut de la crise du SARS. Du moins, la réaction est extrêmement rapide et tout risque est minimisé.

Comme parent, pourtant, il faudra endurer. 2 semaines, 2 semaines…
Valérie Nichols à Hong Kong (hélas)

D’une invisible 20e commémoration du 4 juin 1989 au festif et bruyant 60e anniversaire dynastique

L’an 2009 est loin d'être d’une sinécure pour le fonctionnariat chinois : après la tourmente invisible du 20e anniversaire de Tiananmen viennent les préparatifs pour le 60e de la République populaire de Chine. Alors que le mercure atteint quotidiennement 30 degré dans le nord de la Chine, les mandarins des hautes instances administratives pékinoises ont-ils des sueurs froides? Click here for English.

Déjà, des signes avant-coureurs démontrent qu’on prend l’événement très au sérieux. Le modus operandi des JO est repris : restriction des visas. Plusieurs agences chinoises indiquent qu’à partir de la mi-septembre, soit trois mois avant la date d’anniversaire du 1e octobre, ils ne pourront plus émettre de visas d’affaires.

Le 60e anniversaire de la Nouvelle Chine n’est pas un événement qui se consommera en un jour, la marche vers cette célébration commença déjà…le 1 octobre 2008. Afin de cultiver le patriotisme et la santé de la jeune génération de Chinois, le Ministère de l’Éducation décida d’ajouter le jogging au cursus académique. L’objectif pour avril 2009 était de 120 km pour les petits petits, 180 km pour les collégiens et 240 km pour les lycéens et les universitaires. (L’attentif mathématicien remarquera que ces rondelets numéros sont tous des multiples de 60).

Si les JO se voulaient une vitrine sur la modernisation et la qualité de ses athlètes chinois et si Expo Shanghai 2010 en sera une sur le futur rayonnement de la jeune dynastie, la première parade des armées chinoises du 21ième siècle à l’occasion du 60e sera une vitrine sur sa puissance militaire. Pour Fang Fenghui, commandant de la région militaire de Beijing et député à la XIe Assemblée populaire national (APN), « l'apparition de nouveaux équipements militaires brillants sera l'un des sommets de ce défilé militaire. » Cette 14e parade militaire revêt un caractère particulier dans le sens où lors du premier défilé en 1949, la contribution chinoise à l’équipement militaire se résumait aux chevaux, alors qu’en 2009, comme l’indique Fang Fenghui, « de plus nombreux équipements de fabrication chinoise, encore plus dissuasifs, feront leur apparition dans la parade. »

dimanche 7 juin 2009

Lu et vu: Marcher sur la corde raide, défis et solutions du droit de l'environnement en Chine

Le 2 juin, l’université McGill recevait Wang Canfa, directeur-fondateur du « Center of Legal Assistance for Pollution Victims » (CLAPV) et professeur à la China University of Political Science and Law, pour une conférence portant sur les défis et solutions entourant le droit environnemental en Chine. Click here for English.


Celui qui, en 2007, avait été nommé « Héro de l’environnement» par le Time Magazine débute sa conférence en posant un constat d’échec : malgré les efforts considérables mis de l’avant depuis l’ère des réformes, l’environnement continue à se détériorer en Chine. Avant 1978, le concept de législation environnementale était totalement inexistant. Depuis lors, la situation a bien changé. Qu’il soit question de pollution des mers, des nappes phréatiques, de l’air, la Chine est, du point de vue légal, au pair avec la plupart de pays industrialisés


Pourtant, ces dernières années, la pollution des sols, causée par les métaux lourds, a entrainé une diminution de 10 millions de tonnes de production de grain, pertes évaluées à plusieurs millions de yuans. À peine 200 kilomètres au nord de Pékin, un désert remplace aujourd’hui ce qui fut jadis de vertes pleines. Dans plusieurs régions de la Chine, la désertification progresse de façon alarmante. La production de déchets d’origine animale progresse aussi à un rythme inquiétant. La production de ces derniers dépasse désormais la production de déchets domestiques qui elle, augmente en moyenne de 12.5% annuellement. Côté maritime, le phénomène de « marrée rouge » (red tide, ou 赤潮), marées toxiques causées par une surabondance de pesticides agricoles ou de détergents industriels dans les eaux, augmente sans cesse depuis les années 60. Pour finir, dans le Sud-Est du pays, les émissions d’oxyde d’azote sont à la base d’importants problèmes liés aux pluies acides qui touchent maintenant près d’une tiers du pays. Ce type d’épisode pluvieux entraine des conséquences néfaste tant pour la faune que pour la flore.

Réactions à chaud: 20 ans après Tiananmen, que reste-t-il des idéaux démocratiques en Chine?

Vingt ans après les événements ayant balayé pour l’instant les espoirs d’une démocratisation, ou du moins d’une véritable réforme politique en Chine, que reste-t-il des idéaux démocratiques dans ce pays? Click here for English.

Il est tout d’abord important de préciser que plusieurs sinologues croient que la démocratie multipartite, assortie d’élections libres et impartiales, se situe pour l’instant bien loin des préoccupations immédiates de la plupart des citoyens chinois et de celles des élites intellectuelles du pays. De même, l’espoir de voir apparaître une opposition politique organisée relève actuellement de l’utopie. En effet, depuis la réponse brutale du parti aux quatre demandes formulées par les étudiants au printemps de 1989 (1- de meilleures conditions pour les intellectuels et les étudiants, incluant plus d’argent pour l’éducation; 2- la fin de la corruption des cadres du parti; 3- une réforme politique conduisant à plus de démocratie; et 4- le respect des libertés individuelles, comme la liberté d’association, de parole et de la presse), toute tentative d’organisation politique ou civile à l’extérieur du cadre fixé - exclusivement - par le parti a été éliminée à la source.

Or, malgré cette contrainte, les valeurs démocratiques se sont réincarnées sous une forme nouvelle, dans un mouvement qui peut sembler moins menaçant aux dirigeants politiques que des manifestations étudiantes : le mouvement pour les droits civiques (weiquan yundong). Le cas ayant donné son élan au mouvement fut probablement celui de Sun Zhigang, un ingénieur battu à mort par les autorités locales de Guangzhou en 2003, parce que ces dernières l’avaient pris pour un migrant illégal. La nouvelle de sa mort répandue dans des journaux, puis sur le web, avait provoqué l’indignation populaire et trois juristes avaient envoyé une pétition aux autorités. Ces réactions, en exerçant une forte pression sur le gouvernement, avaient réussi à faire abolir le brutal système d’hébergement et de rapatriement des travailleurs migrants sans permis.

jeudi 4 juin 2009

Lu et vu: Tiananmen se discute...à Montréal



Le 1er juin, pour souligner le 20e anniversaire du massacre de Tiananmen, l’organisation Droit et Démocratie avait invité trois grands noms à participer une table ronde qui se déroulait au Centre d'Archives de Montréal. Rowena Xiaoqing He, chercheuse au Fairbank Centre for Chinese Studies de l’Université Harvard, Charles Burton, politicologue de l’Université Brock, diplômé en histoire de la pensée chinoise à l’Université Fudan de Shanghai, ainsi que Cai Chongguo, auteur du livre « J'étais à Tian An'men » et éditeur de la version chinoise du China Labour Bulletin, étaient réunis sur une même scène pour discuter de l’héritage laissé par le mouvement de 1989. Click here for English.


Dès le départ, Rowena Xiaoqing et Cai Chongguo mettent l’emphase sur le caractère déterminant qu’ont eu les événements de 89 sur eux, ainsi que sur la plupart des étudiants présents 20 ans plus tôt. Moment séminal, les événements tragiques survenus à la Place Tiananmen ont marqué leurs vies de façon indélébile en semant en eux les graines de la démocratie. C’est ainsi qu’ils ont trouvé le courage qui les a poussés à poursuivre la lutte contre l’oubli, à contester la lecture officielle de l’histoire imposée par le Parti Communiste, qui tente d’effacer cet évènement de la mémoire collective du peuple chinois. Rowena Xiaoqing qui affirme se sentir souvent seule et désespérée face à cette jeunesse ignorant cette page d’histoire, s’insurge face aux tentatives de Pékin de faire taire quiconque ose critiquer la version des faits.

Réactions à chaud: Temps pluvieux sur Harbin



Harbin connaît depuis hier, le 3 juin, une vague de froid et de fortes pluies. Comme si, devant le mutisme du gouvernement chinois entourant les tragiques évènements du 4 juin 1989, le ciel avait décidé de se faire la conscience d’une histoire étouffée. Click here for English.

Salut, me dit Zhou Meng qui vient d’arriver avec son ami au U.B.C café où je suis installé depuis quelques heures à lire les quotidiens de la ville. Il me présente son ami, Zhang Lei. Ce dernier a l’air un peu nerveux, méfiant. Tout deux sont étudiants au doctorat à l’Harbin Institute of Technology (parmi les 10 meilleures universités chinoises) et moi, futur sinologue québécois qui perfectionne son chinois dans la même ville. Je leur demande s’ils ont discuté, au moins abordé le sujet «de la place Tiananmen» avec leurs camarades de classe récemment.

«Hier, commence Meng, j’ai demandé à un ami s’il connaissait la signification du jour d’aujourd’hui, le 20ième anniversaire…..ce dernier me coupa pour me demander, sceptique, si c’était ma fête!» Cette anecdote rendrait bien compte de l’ignorance généralisée de la jeune génération autour des événements de Tiananmen. Mais Zhou Meng en rit. Il prend le tout avec un grain de riz. Il a étudié 3 ans au Canada dans le cadre de sa maîtrise. Cette période a complètement changé sa façon de voir l’histoire et l’évolution de son pays. Comme il parle parfaitement anglais et baragouine un peu le français, il s’informe régulièrement sur des sites étrangers. Zhang Lei est arrivé à une nouvelle version de son histoire et de 1989 par la culture du rock pékinois. Les thèmes abordés, l’histoire et le vécu de certaines des figures de proue de ce mouvement toujours underground l’ont éveillé.

Lu et Vu : Coma pékinois et devoir de mémoire

Le 4 juin 2009 marque le 20e anniversaire des événements de la Place Tian’anmen. La lecture du dernier roman / témoignage de Ma Jian, Beijing Coma, me semble ainsi toute indiquée pour la commémoration de la tragédie, d’autant plus que, avis à nos lecteurs non-sinologues, il a été publié en français en août dernier chez Flammarion. L’auteure de ces lignes vous conseille toutefois la version anglaise, celle-là traduite du chinois, alors que la version française a été traduite de l’anglais. Intitulé 肉土 (terre de viande) en chinois, ce roman est à l’image des œuvres de Ma Jian, entre fiction et réalité, entre témoignage et récit, entre histoire et liberté, entre désillusion et devoir de mémoire. Click here for English.

Ma Jian (马建), parfois surnommé le « Soljenitsyne chinois », est né en 1953 dans la pittoresque ville de Qingdao (province du Shandong). D’abord photojournaliste et peintre au service de la propagande, il se met à l’écriture de satires et de nouvelles dès les années quatre-vingt. Son style est rapidement jugé dérangeant par le régime et la surveillance exercée par les autorités pousse Ma Jian à quitter le continent pour Hong-Kong en 1987. Un an plus tard, l’auteur signe son premier roman, 亮出你的舌苔或空空荡荡 (La mendiante de Shigatze, publié chez Actes Sud en 1993) dont l’action se déroule au Tibet, où l’auteur dresse un sombre portrait de la culture tibétaine, à des lieues de « la jolie carte postale ». Le livre est évidemment immédiatement interdit en Chine. En 1990, il publie 拉面者 (Nouilles chinoises, publié en français chez Flammarion en 2005). Cette fois-ci, Beijing sert de toile de fond à l’intrigue, ficelée à travers la rencontre entre un écrivain à la solde du Parti et un homme ayant fait fortune dans le commerce du sang. Établi définitivement en Allemagne en 1997 puis, à Londres en 1999 avec sa femme et traductrice Flora Drew, Ma Jian signe ensuite 红尘 (Chemins de poussière rouge, publié en français aux Éditions de l’Aube en 2005), sorte de roman autobiographique où l’auteur raconte un périple entrepris en Chine, un pays auquel il est devenu étranger, un pays qu’il décrit comme corrompu à la moelle.


Ma Jian habitait Hong-Kong lorsque les événements de la Place Tian’anmen ont embrasé la capitale chinoise à l’été 1989. Solidaire des causes défendues par les manifestants, il a immédiatement quitté son repaire pour se joindre au mouvement. Dans les rues de Beijing, il a pris des photos et s’est mis à écrire ce qu’il ressentait face au déroulement et au dénouement des événements. Certains de ces souvenirs et de ces émotions couchées sur le papier ont été repris dans Nouilles chinoises puis dans Beijing Coma, que l’auteur mit dix ans à écrire.

Beijing Coma propose de revivre les événements de la Place Tian’anmen à travers la personne de Dai Wei, un leader étudiant debout sur les barricades et tenant haut et fermement sa banderole pour la liberté et la démocratie. Atteint d’un projectile à la tête par un policier en civil, l’étudiant au doctorat en biologie moléculaire de Beida entre dans un profond coma, sorte de vie parallèle où il se met à se remémorer par bribes les événements de sa vie et de celle de ses proches. Narrant les principales pierres angulaires de la vie de ses parents, son père « droitier » et sa mère, une communiste profondément convaincue, le comateux émerge finalement de sa prison dix ans plus tard, ne reconnaissant plus la Chine pour laquelle il s’est battu. À travers le fil conducteur du roman, le lecteur est donc « pris » dans la tête de Dai Wei et suit chronologiquement les événements qui menèrent à cette Chine dénaturée que nous décrit Ma Jian. On passe ainsi à travers des événements comme la Révolution culturelle (1966-76), où Dai Wei se souvient d’une jeune villageoise de seize ans dont le Parti ordonna qu’on mange le cadavre. « If you don’t eat the enemy, you’re the enemy ». À glacer le sang.

À travers la narration, l’auteur touche aussi à plusieurs sujets chauds en Chine contemporaine, notamment la hausse vertigineuse des coûts reliés aux soins de santé en Chine, l’avarice et la recherche de profit gagnant le commun des Chinois, l’attrait pour le Falungong (notamment chez sa propre mère), etc. La fin du roman, à défaut de voler le dénouement à nos lecteurs, évoque magnifiquement cette Chine mangée par le slogan du Président Deng « Être riche est glorieux » : les deux personnages principaux, l’un muet et l’autre fou, plaçant leur corps sur la route des bulldozers venus détruire leur bloc appartement.

L’essentiel du texte se concentre toutefois sur les événements de la Place Tian’anmen, que Ma Jian reprend un jour à la fois, un détail à la fois, ce qui titille d'ailleurs parfois la patience du lecteur. Sur les événements de la célèbre Place, le lecteur accueille avec intérêt un portrait très « Ma Jian » des événements, soit critique à souhait, l’auteur n’hésitant pas à souligner les luttes intestines entre groupes d’étudiants aux projets et slogans souvent opposés les uns aux autres, les stratégies qui divisent, l’attrait pour le vedettariat chez certains leaders et la lâcheté de certains, ceux qui ont quitté la table avant la fin du repas … Le portrait des événements est donc exclusivement limité à la vision estudiantine de son déroulement, les manifestations populaires ayant soulevé beaucoup de Pékinois ou de Chinois ordinaires sont à peine effleurées. Au cœur de leurs contradictions, ces étudiants sont néanmoins dépeints comme « ceux qui ont porté l’histoire sur leurs épaules » ; en nous faisant revivre cette histoire de l’intérieur, Ma Jian réussit ici un coup de maître. À travers ce portrait très physique, touffu et parfois terrible, c’est un plus d’un demi-siècle d’histoire que l’écrivain couche sur le papier.

Bref, à la lecture de ce roman parfois à saveur de règlement de compte ou de testament politique, on a l’impression que les exilés de Tian’anmen ont encore des choses à régler entre eux. Surtout, le lecteur, Chinois ou non, est invité à ce devoir de mémoire si cher dans l’écriture de Ma Jian. L’auteur est d’ailleurs reconnu, ces dernières années, pour ses prises publiques de position à cet égard : Tian’anmen ne doit jamais tomber dans l’oubli. « When you lie inside your silent dreams, your memories press into your flesh like iron nails » (p. 313)

Aujourd’hui, en ce 20e anniversaire des événements de la Place Tian’anmen, le livre est supposé être lancé à Hong-Kong et à Taiwan. Est-ce que les Chinois s’y reconnaîtront ? Ou est-ce que l’effacement de ces événements de leur histoire commune et mémoire collective les a à jamais plongés dans un « coma » ?

Bonne lecture !

Émilie Cadieux

mercredi 3 juin 2009

Lu et vu: Documentaire sur Tiananmen



Valérie Nichols nous recommande un excellent documentaire sur Tiananmen, réalisé par Al Jazeera, source peut-être peu consultée en Amérique du nord. 25 minutes à peu près, en deux parties, disponible ici. Entrevues avec des leaders du mouvement--Wuer Kaixi, Han Dongfang, entre autres--et avec des China-watchers occidentaux--Jan Wong (journaliste du Globe and Mail) et Perry Link (professeur de littérature chinoise à Princeton). Ton nuancé, images émouvantes.

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David Ownby

mardi 2 juin 2009

Lu et vu: Table ronde à Hong Kong sur Tiananmen



Le 1er juin, le Centre d'études français sur la Chine contemporaine à Hong Kong a organisé une table ronde sur “The Impact of the 1989 pro-Democracy Movement and its Repression on the Evolution of the Politics, Economy, and International Relations of the PRC.” Notre bloggeuse Valérie Nichols y fut et nous remet ce résumé.

Le CEFC a voulu frapper fort en organisant une table ronde réunissant des participants de Tiananmen. Les règles d’immigration en auront voulu autrement. Chen Ziming, Wang Chaohua, Wang Juntao et Wang Dan, tous d’éminents personnages associés aux manifestations de 1989, ne purent faire le voyage. Le panel s’en est trouvé réduit. La jolie salle du Foreign Correspondants Club n’en était pas moins bondée de journalistes étrangers et de spécialistes de la Chine. Mes attentes comme celles de plusieurs membres de l’audience étaient très élevées.