vendredi 9 octobre 2009

Ce que les affrontements dans le Nord nous révèlent à propos des relations Chine-Birmanie


Une analyse de Charles Hudon

Le mois dernier, un conflit armé éclatait au Nord de la Birmanie. Prenant le gouvernement chinois par surprise, qui n’avait vraisemblablement pas été prévenu, environ 30 000 réfugiés traversent la frontière pour trouver refuge dans le Yunnan voisin. Quelques semaines plus tard, la quasi-totalité des réfugiés quittèrent la Chine pour retrouver leur domicile. Pour ce qui est des détails, Rangoon, tout comme Pékin, restent on ne peut plus discrets. Depuis lors, aucune nouvelle. Blocage journalistique tant en Chine qu’en Birmanie. Les articles relatifs à la Birmanie sur les Blogues en Chine disparaissent de la mémoire internet.

Après un règne ininterrompu de près de 50 ans, la junte militaire birmane n’a pas encore réussi à asseoir son pouvoir sur la totalité de son territoire. Dans les zones frontalières, plus d’une dizaine de groupes rebelles évoluent toujours en parallèle du gouvernement central. La plupart de ces groupes se situent dans les provinces du Kachin et du Shan. La genèse de ce conflit remonte aux premières heures de l’indépendance birmane. Souvent financés et soutenus par des pouvoirs étrangers, principalement la Chine et la Thaïlande, ces groupes sont parvenus à tenir tête au gouvernement central jusqu’à aujourd’hui.

Le plus important de ces groupes, l’Armée d’État de la Minorité Wa, compte sur une force armée de plus de 20 000 soldats. Après une vingtaine d’années de calme, le 31 août dernier, la Junte rompt le statut quo et s’en prend militairement à la minorité autonomiste d’origine chinoise Kokang. En moins d’une semaine, la résistance est étouffée. En Chine, le geste est perçu comme un acte de provocation. Ignorant les appels répétés du ministre des affaires extérieures chinois pressant la Junte de préserver la stabilité ainsi que l’intégrité des citoyens chinois vivant dans les zones frontalières, l’armée birmane ne cesse de déployer des troupes en prévision de ce qui semble être une attaque prochaine contre l’ethnie Wa. Ces événements révèlent une certaine autonomie de la Junte face à Pékin, autonomie dont plusieurs croyaient la Birmanie incapable.


Besoin d'un allié puissant


Instable tant politiquement que socialement, pris entre les intérêts géopolitiques de l’Inde et de la Chine, isolée internationalement, la Junte ne peut difficilement survivre sans s’allier à une puissance voisine. Jusqu’à tout récemment, tout semblait indiquer que la Birmanie avait choisi la Chine pour lui servir de parrain à l’échelle internationale. En effet, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis que les contacts entre les voisins furent rompus, sous Ne Win, en 1962. Depuis la normalisation de leurs relations en 1988, la Chine se présente aujourd’hui comme l'un des plus importants acteurs au cœur des affaires internes et externes birmanes. Parfois, les plus cyniques vont même jusqu’à la décrire comme une colonie économique et militaire de l’empire du milieu. Dans de telles circonstances, il apparaît pour le moins surprenant de voir les rappels à l’ordre formulés par la Chine ignorés par la junte. Cet événement nous offre l’opportunité de poser un second regard sur les relations qu’entretiennent la Chine et la Birmanie.



Les régions du nord de la Birmanie


Les conflits qui font présentement rage en Birmanie ont lieu dans la province Shan, située au nord-ouest du pays. Dès l’indépendance acquise, le pays sombre dans la guerre civile. Armés, plusieurs groupes refusent de se soumettre à l’autorité du pouvoir central naissant. Ayant pacifié la majeure partie de son territoire, le gouvernement central s’avère encore incapable d’en finir avec certains groupes ethniques autonomistes vivant dans les zones frontalières.

La Chine entretien des relations consanguines avec certains de ces groupes. La plupart des groupes vivant le long des zones frontalières séparant la Chine et la Birmanie sont liés entre eux. Par exemple, « les Shan birmans et les Daï du Yunnan sont de même origine, tout comme les Kachin birmans, que l’on nomme Jinpo au Yunnan, ou encore les Wa, qui portent tout simplement le même nom des deux côtés de la frontière. Depuis des siècles, ils voyagent librement entre les deux pays et maintiennent souvent des affinités plus fortes envers leurs groupes ethniques qu’envers le groupe national. » Dans ces régions, l’influence chinoise est considérable. Dans les régions Kokang, une majorité d’entreprises, dans des domaines aussi variés que la foresterie, la bijouterie, l’hôtellerie et le divertissement est gérée par des chinois. Dans plusieurs de ces régions, le Yuan est utilisé comme monnaie d’échange et l’on fonctionne selon l’heure de Pékin. Bon nombre de villes frontalières birmanes reposent sur la Chine pour des services tels que l'électricité, l'eau et les télécommunications.

Bien qu’ayant officiellement soutenu, financé et armé le Parti Communiste Birman qui se terrait dans les régions boréales du pays, la Chine a joué un rôle de premier plan dans la pacification de la région. Son rôle de médiateur permit à la Junte de signer, depuis la fin des années 80, des traités de cessez-le-feu avec plus de 17 de ces groupes armés. Ces cessez-le-feu, encore en vigueur aujourd’hui, permirent aux rebelles de conserver leurs armes ainsi qu’une autonomie quasi complète. Pour la Chine, ces zones autonomes offrent un rempart en cas d'instabilité à l'intérieur de la Birmanie ainsi qu’une zone d’influence privilégiée pour le commerce.

En Chine, cette relation intime ne manque pas d’enflammer les passions nationalistes de plusieurs. Bien que ne représentant définitivement pas la position de l’ensemble de la population, voici une traduction d’un commentaire que l’on peut généralement lire suite aux articles traitants du conflit dans le Nord de la Birmanie dans le presse chinoise:

Commentaire en provenance de la province du JiangSu, de la Ville de TianJing :

« La Chine est trop conciliante. Kokang est rempli de Hanzu, ils parlent parfaitement mandarin, utilisent les réseaux chinois de téléphonie cellulaire et utilisent les codes régionaux du Yunnan. La Birmanie maltraite ouvertement une de ses minorités ethniques. Cette minorité ethnique est justement en provenance de son tout puissant voisin. Mais ce tout puissant voisin adopte une position pacifiste…c’est vraiment le monde à l’envers!

( L’auteur fait ensuite un parallèle avec la façon dont la Russie s’attira le respect et l’honneur en protégeant l’Ossétie du Sud lors du conflit avec la Géorgie l’année dernière, pour ensuite conclure : )

La faiblesse de la Chine amènera des résultats imprévisiblement désastreux pour son futur. Alors que les chinois hors Chine ont besoin de son aide, la Chine demeure inactive… »

Le statu quo

La Chine se montre présentement en faveur du statu quo. Vu les vives tensions ethniques qui animent déjà le Tibet et le Xinjiang, il serait très mal avisé pour la Chine de soutenir des revendications indépendantistes à l’extérieur de ses frontières. La Chine s'oppose à créer un tel précédent, car elle redoute que cela suscite un sentiment nationaliste au sein des groupes ethniques de son côté de la frontière. Elle veille cependant à ce qu’un certain équilibre des puissances soit maintenu entre les groupes frontaliers et le gouvernement militaire birman et à ce qu'aucune des parties n’ait le dessus sur l’autre.

Pour ce faire, « plusieurs fonctionnaires et agents de renseignement du Yunnan entretiennent des relations étroites, bien que largement informelles, avec certains de ces groupes, y compris les Kachin, Wa et de Kokang. La Chine contribue à assurer leur survie en leur fournissant une assistance économique et en maintenant la frontière ouverte aux échanges. » Malgré le fait que les responsables chinois nient que la Chine appuie militairement la minorité Wa birmane, le dernier rapport du International Crisis Group affirme qu’il aurait été admis que quelques "éléments incontrôlés" de l'Armée Populaire de Libération l'aient fait dans le passé.

Un autre aspect à considérer est qu’une quantité importante de ressources naturelles essentielles au développement chinois se situe dans des zones actuellement contrôlées par ces groupes ethniques, dont la collaboration doit être assurée. Le support apporté par Pékin lui permet de tenir ces régions « ouvertes ».

Plusieurs hommes d'affaires locaux reconnaissent que les entreprises chinoises profitent de « traitements spéciaux qui découlent d'un consensus avec les groupes ethniques locaux ». À cet effet, l’International Crisis Group cite le cas de l’industrie forestière. « De grandes quantités de bois coupées par des entreprises à majorité chinoise, n’utilisant que des travailleurs chinois, passent du Nord de la Birmanie à la Chine quotidiennement. Ces actions commises par les sociétés d'exploitations forestières chinoises causent des frictions entre Pékin et Naypyidaw. Militaires, agents de police, dirigeants de groupes ethniques locaux ainsi que fonctionnaires de l'État de Kachin sont reconnus pour profiter directement du commerce du bois, alors que le gouvernement central n’en tire aucun profit ».


La Birmanie agacée

Peu après que Pékin ait adressé ses requêtes relatives au maintien de la stabilité dans les zones frontalières birmanes, la Junte publia dans le Myanmar Times un court article couvrant favorablement la visite qu’a rendu le Dallai Lama à Taiwan. Cet article tend à donner de la crédibilité à la thèse voulant que l’ampleur des différents entre les deux voisins soit en croissance. « Certains experts avancent que la Junte aurait été piquée par le soutien tacite offert par la Chine aux rebelles et par son refus de fermer la frontière, ce qui aurait eut comme effet de leur couper les vivres ».

Historiquement, d’autres facteurs tendent à expliquer la distance que Naypyidaw s’efforce de prendre face à son voisin chinois. La profonde méfiance qu’entretient la Birmanie à l’égard des ambitions politiques et territoriales de la Chine prend racine dans une forte aversion du régime face à toute intervention étrangère. Dès le début des années 60, le gouvernement birman fait la promotion de la « Voie birmane vers le socialisme », une idéologie résolument « anti-étrangers », qui introduit le contrôle étatique de l'économie en nationalisant les entreprises privées. Cette politique ciblait particulièrement les ressortissants indiens, chinois, anglo-birmans ainsi que les occidentaux. « Ces «étrangers» furent «encouragés» à partir. À la fin des années 1960, on estime que 100 000 chinois quittèrent la Birmanie en raison de discrimination généralisée. » Encore aujourd’hui, les manuels scolaires birmans accordent une attention particulière aux invasions chinoises qui survinrent au XIIIe et XVIIIe siècle. De façon plus générale, les leaders birmans ont toujours accordé une attention particulière à la souveraineté, à l’indépendance ainsi qu’à l’intégrité territoriale du pays. En refusant le support économique et militaire des superpuissances de l’époque, la junte conservera une stricte neutralité tout au long de la guerre froide. Le type de rapport qui caractérise aujourd’hui les relations Birmanie-Chine est aux antipodes de ces principes d’antan.

Une des raisons principales qui explique ce rapprochement se trouve dans l’isolement diplomatique qu’imposa l’Occident à ces deux nations à la fin des années 80. Le coup d'état militaire, couplé au massacre d’étudiants en 1988 à Rangoon, ainsi que les événements de la place Tiananmen en Juin 1989 eurent comme effet de marginaliser drastiquement ces deux voisins à l’échelle internationale. Beijing sut profiter de cette occasion en or pour combler le vide stratégique qui la séparait de Rangoon. Les sanctions économiques imposées par l'Occident ayant amplifié les difficultés économiques en Birmanie, la Junte décida de se rapprocher de Pékin, en focalisant principalement sur l’assistance militaire et économique. C’est ce contexte de « mariage forcé » qui amène les militaires au pouvoir à demeurer très vigilants face à la puissance grandissante de la Chine. D’ailleurs, ceux-ci tentent depuis déjà plusieurs années de minimiser son influence dans la politique intérieure birmane.

Pour ce faire, à la fin des années 1990, la Birmanie adopta une stratégie visant à diversifier ses partenaires diplomatiques. À titre de réussite dans ce sens, on peut mentionner le rapprochement avec l’Inde ainsi que la consolidation de ses liens avec les nations de l’Asie du Sud-est (ASEAN). La Junte encourage aussi le Japon et d'autres états industrialisés, tels que Singapour et plusieurs pays de l’Union Européenne, à venir investir à Rangoon. Du point de vue birman, rejoindre l'ASEAN et le « Forum de Coopération Économique Bangladesh, Inde, Myanmar, Sri Lanka, Thaïlande » signifie l’intégration à un réseau régional de coopération entre l'Asie du Sud et du Sud-est. Ces rapprochements lui permirent de contrebalancer sa dépendance excessive envers la Chine. Cependant, aujourd’hui encore, le niveau de subordination de la Birmanie à la Chine demeure très élevé. Afin de s’en libérer et d’atteindre un niveau d’autonomie véritable, Naypyidaw devrait poursuivre la diversification de ses partenaires économiques en provenance de pays industrialisés afin d’attirer d’avantage d’investissements directs étrangers. Du même coup, ces transferts de capitaux lui permettraient d’acquérir de nouvelles technologies et des compétences qui lui permettraient de surmonter les faiblesses structurelles à la source de ses retards économiques. Il semble par contre présentement peu probable qu’un nombre signifiant de pays industrialisés soit intéressé à agir dans ce sens sans que le régime militaire n'entreprenne des réformes politiques qui introduiraient une certaine forme de démocratisation dans le pays.

L’engagement du gouvernement Birman à procéder à des élections démocratiques libres et justes en 2010 pourrait aller dans ce sens. Ces élections permettraient à la junte de faire une pierre deux coups : s’attirer les bonnes grâces de l’occident tout en lui permettant d’unifier définitivement le pays. De ce côté, cette promesse a déjà eu comme effet de créer des divisions au sein des groupes rebelles. En effet, suite à l’offre qui leur a été faite de participer aux élections en présentant des candidats, certains chefs de clans commencent à remettre en question leur position autonomiste dure. Du côté de l’aile armée, la junte leur propose d’abandonner la lutte autonomiste pour rejoindre l’armée nationale dans ce qui deviendrait une nouvelle garde frontalière. Bien qu’une majorité demeure suspicieuse à l’égard des intentions du gouvernement central et refuse de coopérer, le programme du gouvernement représente un pas en avant.

Bien que timide, ce pas vers la démocratie vient éveiller une nouvelle crainte à Pékin, celle de voir Naypyidaw basculer dans le camp US. Ce changement viendrait modifier drastiquement la balance des pouvoirs en Asie. Suite à la visite du sénateur américain Jim Webb en Birmanie à la mi-août 2009, les spéculations sur l’amélioration des relations États-Unis-Birmanie vont bon train. Le sénateur Webb a pu rencontrer la chef de l'opposition Aung San Suu Kyi dans sa résidence surveillée. Il s’est aussi entretenu avec le président Than Shwe, pour ce qui fut la première réunion du général avec un haut responsable politique étasunien. La visite fut suivie par un article pleine page dans le journal d’état soulignant les espoirs qu’entretenait la Junte de pouvoir améliorer les relations bilatérales et d’amoindrir les désaccords entre les deux pays. Cette semaine, c’était au tour de la Maison Blanche de permettre au ministre birman des affaires extérieures de venir en visite aux États-Unis. Alors que les sanctions imposées par l’occident au Régime ont faillit à introduire des changements significatifs dans la direction des affaires intérieures du pays, l’administration du président Obama est présentement en train de redéfinir sa politique en Birmanie.


Partenaires essentiels

D’un point de vu quantitatif, les échanges entre la Birmanie et la Chine sont inégales et asymétriques. Par exemple, seulement que 5% des exportations birmanes se dirigent vers la Chine, alors que 34% de ses importations proviennent de ce même pays. Pour combler ce déficit économique, Pékin fournit des armes à la Junte, la défend dans les forums internationaux et lui sert de banquier. De ce point de vue, leurs relations semblent réciproques et mutuellement bénéfiques. La façon dont la Junte semble désobéir à Pékin dans le dossier du conflit nord frontalier laisse cependant croire que Naypyidaw soit de moins en moins satisfait des termes de leur entente et soit tenté de redistribuer les cartes.

Trop important pour la Chine
La Birmanie est importante pour la Chine à cause de son emplacement stratégique à la jonction de l'Asie du Sud, de l’Asie de l’Ouest et de l’Océan Indien. Sa collaboration avec la Birmanie permet d’assurer sa présence dans l'océan Indien et ainsi atteindre son objectif à long terme « des deux océans ». De plus, un lien entre la Chine et la Birmanie est stratégiquement utile pour la Chine afin de contenir l'influence de l'Inde en Asie du Sud.

Économiquement, la Birmanie est considérée comme un acteur essentiel dans la volonté de la Chine de combler l’immense disparité de richesses qui sépare les zones côtières de celles de l'intérieur. La Birmanie représente un partenaire de première importance pour le développement des provinces de l'intérieur, en particulier du Yunnan et du Sichuan. Promouvoir le développement économique des provinces du Centre et de l’Ouest de la Chine constitue un objectif primordial de Pékin depuis le lancement de la campagne « Go West », lancé en 2000. La campagne vise à éliminer la pauvreté et à réduire l'écart économique entre les provinces côtières de la Chine et celles du Centre et de l’Ouest en moins de 50 ans. « Parmi les pays de l'ASEAN, la Birmanie est actuellement le plus grand partenaire commercial du Yunnan. En 2008, le volume commercial entre le Yunnan et la Birmanie atteignait 1,19 milliard de dollars, presque la moitié du volume total des échanges entre la Chine et la Birmanie. » La Birmanie possède d’immenses réserves encore inexploitées de pétrole, de gaz, de bois ainsi que des minéraux et des pierres précieuses. Les investissements chinois dans le pays focalisent essentiellement sur l'énergie ainsi que les ressources naturelles dont la Chine a crucialement besoin afin d’alimenter l’industrialisation du pays. Selon un récent rapport, « la Chine serait impliquée dans au moins 90 projets miniers, hydroélectriques, pétroliers et gaziers à travers le pays. Ces projets incluent la construction de barrages hydroélectriques ainsi que d’un gazoduc visant à transporter du gaz et du pétrole du sud du pays jusqu’au Yunnan, en Chine. »

Ce pipeline est construit afin de développer une nouvelle voie pour les livraisons de carburant provenant de l'Océan Indien, permettant ainsi d’éviter le détroit de Malacca, à travers duquel plus de 70 pour cent du pétrole et du gaz chinois transit. Selon plusieurs analystes chinois, une trop grande dépendance envers le détroit pose deux menaces: la piraterie et le terrorisme maritime dans la région ainsi que la possibilité, en cas de conflit, de voir le détroit complètement fermé par des forces belligérantes. Les États-Unis sont, bien entendu, pressentis comme ennemi potentiel, mais la Chine n’écarte pas non plus la possibilité que de plus petits états s’engagent dans cette direction. Le cas du Viet-nam, avec qui la Chine entretient des disputes à propos de la souveraineté sur plusieurs îles en mer de Chine, est occasionnellement cité. En effet, il ne suffirait que de quelques sous-marins vietnamiens pour venir assoiffer l’empire du milieu. En plus du pipeline, afin de réagir à cette menace, la Chine a développé des installations portuaires dans plusieurs villes. Celles-ci partent de la mer de Chine du Sud, passent à travers le détroit de Malacca pour déboucher sur l'océan Indien, jusqu’au golfe Persique.

Du côté birman, le bilan de la coopération avec la Chine est mitigé. En fait, il semble de plus en plus clair que le rapprochement entre ces deux pays n’a pas réussi à développer significativement l’économie et la base industrielle du pays. La coopération économique avec la Chine soutient le régime, mais n’a qu’un impact limité sur la croissance du pays. En fait, certains analystes commencent à souligner que le développement économique de la Birmanie ne va tout simplement pas de pair avec une coopération étroite avec la Chine. Pour la Birmanie, plusieurs portes semblent vouloir s’ouvrir à l’horizon. L’acteur le plus susceptible de faire compétition avec la Chine pour l’accès aux ressources birmanes demeure sans aucun doute l’Inde.


L’Inde

Vu son abondance en ressources naturelles et son importance en terme de géostratégie, pour la Junte au pouvoir, ce ne sont pas les partenaires de rechange qui manquent. Le concurrent le plus sérieux est définitivement l’Inde. L’Inde, qui avait jadis été tentée de jouer de son influence pour amener une certaine libéralisation en Birmanie, a depuis longtemps abandonné ses différences idéologiques pour des considérations plus pragmatiques.

Stratégiquement, l’Inde voit en son voisin birman un partenaire clef pouvant l’aider à contenir l’influence grandissante de la Chine en Asie du Sud. Le pays est aussi une carte maitresse au cœur de la stratégie indienne « Look East Policy », qui vise à créer un rapprochement substantiel entre l’Inde et l’Asie du Sud-Est. En avril 2008, les deux pays signèrent une entente évaluée à 120 millions de dollars visant à améliorer les voies de communication le long de la rivière Kaladan et à rénover le port de Sittwe. Une fois terminé, les navires de la province du littoral de l'Inde « Mizoram » seront en mesure de naviguer directement vers Sittwe, ouvrant ainsi une nouvelle route commerciale pour les produits indiens vers l’Asie du Sud Est, contournant le Bangladesh.

L'Inde a également vendu des armes au gouvernement birman et s'est impliqué dans divers domaines tels que l'agriculture et les télécommunications. Cette coopération a permis à l’Inde de s’assurer le support de la Junte dans la lutte qu’elle mène contre les rebelles dans le Nord-est du pays. L’Inde se montre aussi particulièrement agacée par la présence grandissante de la marine chinoise dans l’océan indien, qu’elle considère comme une de ses zones traditionnelles d’influence. En plus de venir contenir l’expansion de la Chine dans cet océan, un rapprochement avec la Junte fournirait une porte de sortie autant terrestre que maritime à ses provinces du Nord-est.

Selon Lu GuangSheng, professeur en relations internationales à l’université du Yunnan à Kunming, la Junte aurait acquiescé aux demandes de Pékin d’attendre la fin des célébrations du 60ième anniversaire de la Nouvelle Chine pour mener à terme ses ambitions dans le Nord du pays. Le blocage médiatique imposé par la Chine laisse croire que Naypyidaw n’aurait probablement pas l’intention de modifier sa stratégie d’intervention pour cette partie de son pays. L’envoi par la Chine d’imposantes forces armées à la frontière, pour éviter que le conflit ne déborde en territoire chinois, comme ce fut le cas au début du mois, pourrait aussi aller dans ce sens.

Outre les intérêts à court terme, il semble que la seule raison qui explique que la Chine n’a pas réagi plus vigoureusement afin de remettre son valet à l’ordre, soit qu’elle n’en a tout simplement pas les moyens, qu’elle ne pouvait pas risquer de voir Naypyidaw glisser hors de son orbite. Bien qu’il semble que quoi qu’il en soit, la Junte soit désireuse de prendre ses distances face à son voisin nordique, une réaction trop vive de la part de Pékin n’aurait fait qu’amplifier ce phénomène.

Charles Hudon à Kunming

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