jeudi 4 juin 2009

Lu et vu: Tiananmen se discute...à Montréal



Le 1er juin, pour souligner le 20e anniversaire du massacre de Tiananmen, l’organisation Droit et Démocratie avait invité trois grands noms à participer une table ronde qui se déroulait au Centre d'Archives de Montréal. Rowena Xiaoqing He, chercheuse au Fairbank Centre for Chinese Studies de l’Université Harvard, Charles Burton, politicologue de l’Université Brock, diplômé en histoire de la pensée chinoise à l’Université Fudan de Shanghai, ainsi que Cai Chongguo, auteur du livre « J'étais à Tian An'men » et éditeur de la version chinoise du China Labour Bulletin, étaient réunis sur une même scène pour discuter de l’héritage laissé par le mouvement de 1989. Click here for English.


Dès le départ, Rowena Xiaoqing et Cai Chongguo mettent l’emphase sur le caractère déterminant qu’ont eu les événements de 89 sur eux, ainsi que sur la plupart des étudiants présents 20 ans plus tôt. Moment séminal, les événements tragiques survenus à la Place Tiananmen ont marqué leurs vies de façon indélébile en semant en eux les graines de la démocratie. C’est ainsi qu’ils ont trouvé le courage qui les a poussés à poursuivre la lutte contre l’oubli, à contester la lecture officielle de l’histoire imposée par le Parti Communiste, qui tente d’effacer cet évènement de la mémoire collective du peuple chinois. Rowena Xiaoqing qui affirme se sentir souvent seule et désespérée face à cette jeunesse ignorant cette page d’histoire, s’insurge face aux tentatives de Pékin de faire taire quiconque ose critiquer la version des faits.


À cet égard, Rowena Xiaoqing n’hésite pas à donner en exemple le courage des « Mères de Tiananmen », qui se battent encore aujourd’hui pour que la mémoire de leurs fils et filles disparus soit honorée, pour qu’une enquête officielle soit finalement ouverte, pour que des compensations aux familles des victimes soient offertes et pour que les responsables soient punis. Comme seule réponse, prétextant le besoin de stabilité, la nécessité de développer l’économie, les autorités choisissent de faire perdurer la tragédie. À la réconciliation s’est substitué l’insulte : site internet bloqué en Chine couplé d’une campagne de salissage les dépeignant comme des criminelles ayant élevé leurs enfants à devenir des chiens de poche de l’Occident.


Rowena Xiaoqing cite ensuite l’exemple de Yuan Weishi, et surtout la publication de son désormais célèbre article « Modernisation et livres d’histoire ». Dans cet article paru en 2006, Yuan dénonce ouvertement les distortions historiques avec lesquelles le Parti nourrit la jeunesse. L’article pointe directement du doigt le monopole de l’histoire officielle détenu par le Pari Communiste comme grand responsable des abus commis au cours de l’ère maoïste, situation qui perdure encore aujourd’hui. La licence de publication de « Freezing Point », supplément hebdomadaire du « China Youth Daily » à l’intérieur duquel avait été publié l’article, fut immédiatement retirée. Cette exemple amena les conférenciers à se questionner sur l’importance du « qui éduque qui ? » en Chine.


Cai Chongguo demeure toutefois positif. Il note que la Chine a changé de façon dramatique depuis 1989. Certains développements lui permettent de garder espoir. Selon lui, l’avènement d’internet, en créant un nouveau front de discussion, un espace public, représente une première brèche dans la censure étatique. Face aux difficultés antérieures à communiquer, Internet a permis au mouvement d’évoluer, d’entrer dans une nouvelle phase. Aujourd’hui, près de 200 millions de chinois sont branchés à Internet. La Chine compte plus de 70 millions de blogs. Bien que la censure existe toujours, internet s’avère beaucoup plus difficile à contrôler. Avant l’avènement du réseau, certains sujets étaient tout simplement interdits de discussion. Il était, par exemple, interdit d’aborder la question de la démocratie. La censure n’est pas disparue, elle prend aujourd’hui de nouvelles formes. En faisant appel à des logiciels spécialisés, on ne censure plus le sujet, mais bien le mot. Il n’est pas difficile d’imaginer que les habitués de la blogosphère chinoise ont vite réussi à contourner ce désagrément, en se faisant plus subtile, en ayant recours aux figures de styles.


Pour Charles Burton, c’est le caractère unique de la Chine qui retient l’attention, plus précisément, sa capacité à confondre tous les observateurs. Il est vrai que depuis les années 80, la Chine malmène les partisans du développementalisme politique, des théories de la modernisation et tous ceux qui voient une corrélation parfaite entre le développement économique et la démocratisation. En effet, combien d’adeptes de « L’homme Politique » de Seymour Lipset se sont appuyés sur l’urbanisation, l’industrialisation et le développement de l’éducation en Chine pour prédire l’avènement de la démocratie dans l’empire du milieu? Charles Burton affirme d’emblée qu’il fait partie du lot! Il admets cependant aujourd’hui que la Chine représente un cas à part. Un système d’apartheid d’un genre nouveau au sein duquel l’élite urbaine, jouissant d’un ensemble de privilèges protégés par le hukou (passeport interne), évolue en vase clos des campagnes selon une dynamique de rural farmer et d’urban dwellers. Dans une Chine qui compte encore une majorité de paysans pauvres, la démocratie viendrait naturellement menacer les acquis de la nouvelle bourgeoisie, voire même de la classe moyenne. Burton reste cependant lui aussi positif, soulignant qu’une majorité de chinois approuve aujourd’hui les principes de la charte 08, mais reste divisée quant aux moyens d’aller de l’avant.
De toute évidence, ces trois conférenciers laissent transparaître les contours d’un mouvement de plus en plus pragmatique. Loin de sombrer dans la pensée magique, le groupe fonde aujourd’hui ses espoirs sur des actions concrètes en provenance de la base. Sachant qu’à l’heure actuelle, aucun groupe ne pourrait contester l’hégémonie du Parti Communiste dans d’éventuelles élections démocratiques, le respect des lois et de la constitution chinoise par Pékin représente le premier objectif. L’heure est à créer un espace publique dynamique, à favoriser la circulation des idées, à ne plus demander, mais à agir.


Charles Hudon, à Montréal

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