mercredi 4 novembre 2009

Une nouvelle pomme de discorde entre Delhi et Beijing






Une analyse de Nicolas Laflamme

Les relations sino-indiennes sont encore une fois mises à l’épreuve. L’une des plus récentes querelles vient du fait que depuis le mois de mai dernier, le gouvernement chinois émet aux étudiants et aux hommes/femmes d’affaires du Cachemire indien des visas remplis à la main sur des pages séparées, brochées à leurs passeports. Nous pouvons en toute légitimité questionner la stratégie chinoise d’accorder un traitement spécial aux citoyens d’une région indépendantiste alors que la Chine est elle-même aux prises avec des mouvements internes sécessionnistes dans ses provinces du Xinjiang et du Tibet.


La politique d’émettre des visas à part peut s’appliquer pour certaines raisons assez claires. On adopte parfois cette mesure pour éviter des discriminations que pourraient engendrer la visite d’un pays. C’est entre autres le cas des visiteurs qui vont en Israël. Cet État n’étampe pas directement les passeports des voyageurs car ceux-ci pourraient se voir refuser un visa dans un autre pays hostile à Israël. Cette pratique peut également s’effectuer lorsqu’un pays ne veut pas reconnaître officiellement le contrôle d’un autre pays sur un territoire disputé.

L’ambassade chinoise à Delhi offrait des visas séparés depuis déjà quelques années, mais seulement pour les résidents de l’État d’Arunachal-Pradesh, un territoire dont la frontière de 3500 kilomètres avec la Chine reste encore aujourd’hui un sujet de dispute très sensible. En 2007, le gouvernement chinois admit avoir refusé d’émettre un visa à un responsable administratif indien d’Arunachal-Pradesh. Depuis ce temps, les citoyens d’Arunachal qui se rendent en Chine se voient émettre des visas étampés sur une feuille brochée à leur passeport. Les Cachemiris se voient dorénavant offrir le même traitement.



Question de mousser un peu les tensions, un haut leader séparatiste cachemiri, Molvi Abbas Ansari, affirme que la décision de la Chine reflète sa reconnaissance du Cachemire comme territoire disputé. De surcroît, le gouvernement chinois a commencé à offrir aux journalistes visitant le Tibet une brochure gratuite d’« information de base » décrivant la province comme étant à proximité de la Birmanie, du Népal, de l’Inde et du Cachemire. L’Inde est véritablement vexée de voir une partie de son territoire nommé aux côtés d’État souverains et indépendants.

Cette prise de position récente de la Chine face au Cachemire représente un nouveau pas dans sa politique sur cette région disputée du sous-continent indien. Alors que la Chine adoptait une position neutre dans les années 50 sur le problème cachemiri, durant les années 60 et 70, en raison de problèmes frontaliers toujours en suspens avec l’Inde, Beijing changea sa position vers un support publique au Pakistan. Précisons ici que le Pakistan est en faveur d’une résolution du problème du Cachemire en consultant la population locale, alors que l’Inde revendique la région dans sa totalité. Toutefois, avec l’amélioration des relations sino-indiennes au début des années 80, la Chine était revenue à une position neutre, et plus tard dans les années 90 énonça que le conflit au Cachemire était un problème qui devait être réglé bilatéralement entre l’Inde et le Pakistan. Après le conflit indo-pakistanais de 1999, la Chine appela le Pakistan à se retirer des territoires cachemiris appartenant de facto à l’Inde, et par le fait même, accepta cette délimitation du Cachemire. Depuis novembre 2003, l’Inde et le Pakistan maintiennent un cessez-le-feu de part et d’autre de la ligne de contrôle (une des frontières les plus militarisées du monde) qui divise leur région respective du Cachemire. Les Indiens ont également construit après 2003 une clôture électrifiée sur la frontière; ce que le Pakistan dénonce. Bien que les Cachemiris appelèrent plus tôt ce mois-ci à des pourparlers pour résoudre le conflit, aucune volonté réelle de coopération de la part de Delhi n’a été exprimée.

La Chine, avec le développement qu’on lui connaît, a hors de tout doute avantage à favoriser un environnement stable et pacifique en Asie, et plus particulièrement dans ses régions limitrophes. On se demande donc encore, alors que le mot d’ordre du Parti Communiste Chinois (PCC) est à l’heure actuelle d’entretenir une « société harmonieuse », pourquoi soulever de nouvelles discordes avec son voisin indien? C’est à se demander si les relations amicales sino-pakistanaises ont quelque chose à voir dans cette histoire… Bien que l’Inde ait prévenu la Chine de ne pas s’impliquer dans des projets sur le territoire du Cachemire pakistanais, en août dernier, la Chine signait avec le Pakistan un accord sur la construction d’un projet hydroélectrique de 7000 mégawatts à Bunji (région cachemiri du Pakistan). Les deux pays travaillent également à l’amélioration de l’autoroute Karakoram qui relit Kashgar dans la province du Xinjiang, en passant par Gilgit et Bunji au Cachemire pakistanais, jusqu’à Havelin près du Pakistan.

Bien que la guerre sino-indienne de 1962, qui coûta la région de l’Aksai Chin à l’Inde, semble loin derrière, les conflits frontaliers sont de nouveau plus actuels que jamais entre ces acteurs de poids. Que ce soit les incursions dans Ladakh à l’est de l’état indien de Jammu et Cachemire d’il y a quelques mois ou les intrusions répétées, incluant celle d’un hélicoptère, dans l’Arunachal-Pradesh, ces activités ont entres autres résultats néfastes diplomatiques que les exercices militaires communs qui avaient eu lieu en 2007 et 2008 n’auront pas lieu cette année entre les deux pays.

La détérioration des relations sino-indiennes s’exprime également par les efforts de la Chine qui a réussi, en août dernier, à faire refuser un vote visant à accorder à l’Inde un prêt de la Banque de Développement Asiatique qui comportait du financement pour des projets dans l’Arunachal-Pradesh.

Autre aspect à venir à regarder de près est la visite du célèbre globe trotter connu sous le nom de Dalaï-lama, prévue pour le 8 novembre prochain à Tawang, dans l’état indien d’Arunachal-Pradesh. Cet évènement hautement contesté pas le PPC est loin de venir réchauffer les relations entre ces deux puissances montantes…



Nicolas Laflamme, à Kunming

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