lundi 16 novembre 2009

Super Mao 2009, version améliorée



Réappropriation identitaire : re-Maoïsation à l’ordre du jour?

"Il existe deux genres de culte de la personnalité. Le premier est un culte saint. Par exemple, le culte voué à Marx, Engels, Lénine et Staline, car ces personnages possèdent la vérité entre leurs mains. Le second est un faux culte de la personnalité, de l’adoration aveugle, un culte qui n’a pas fait l’objet d’analyse." Mao Zedong, 1958

Une analyse de Charles Hudon

Il y a à peine un an, très peu de gens prévoyaient que la Chine pouvait échapper à l’effondrement des marchés étasuniens sans entrer en sévère récession. Aujourd’hui, la vigueur avec laquelle la Chine a su orchestrer la reprise commence à faire taire les plus sceptiques. Alors que l’Occident rationnalise les ressources selon une logique de crise, la Chine, elle, se permet le luxe de l’extravagance. Le dernier exemple en date remonte à la semaine dernière : la mise en chantier, à Changsha, d’une statue de 32 mètres de haut représentant la tête de Mao Zedong. Le coût de cette entreprise est évalué à 300 millions de RMB (plus de 45 millions de dollars). Outre les implications économiques d’une pareille démesure, cette construction soulève un questionnement quant à la démarche idéologique sous-entendue par un tel projet.



À priori, les statues de Mao Zedong ne sont pas chose rare en Chine. Chengdu, Shenyang, Nanjing ne sont que quelques exemples parmi les plus connus. Ces statues furent cependant érigées à une époque différente de la nôtre, poursuivant des buts bien précis. En incarnant la pureté révolutionnaire, Mao jouait un rôle de phare pour la nation, sans qui l’idéal révolutionnaire était inatteignable. Afin d’unifier le peuple derrière l’objectif révolutionnaire, de grandes quantités d'œuvres artistiques personnifiant Mao furent produites et distribuées. De nombreuses affiches et compositions musicales se référaient à Mao comme «le soleil rouge au centre de nos cœurs » (我们心中的红太阳) ou « comme le sauveur des peuples » (人民的大救星).

Après la mort du grand Timonier, la construction de statues de Mao diminua. La raison est fort simple. Idéologiquement, une différence considérable séparait Mao de son successeur. En fait, Deng Xiaoping détestait ce « culte de la personnalité » dédié à Mao. Une fois au pouvoir, c’est cet état d’esprit qui l’amena à interdire la production de statues à son effigie afin d’éviter de répéter ce qu’il croyait avoir été une grave erreur. Son arrivée au pouvoir favorisa aussi une certaine remise en question de l’héritage de Mao. Selon son successeur, les politiques du Grand Timonier auraient été bonnes à 70% et mauvaises à 30%. S’exprimant de la sorte, Deng faisait délibérément référence au jugement que Mao avait fait de Staline, soit un bilan 70/30. Se faisant, Deng comparait subtilement Mao à Staline, une insulte dissimulée sous des apparences de compliment. Bénéficiant d’une plus grande capacité de critiquer que Deng ne l’avait à époque, on aurait pu penser que la nouvelle génération de leaders aurait été tentée de tout simplement inverser ce ratio. L’histoire semble vouloir démontrer le contraire…

S’il apparaît aujourd’hui clair que le Parti au pouvoir en Chine n’ait aucun intérêt à faire la promotion d’idéaux socialistes, pourquoi insuffler de précieux capitaux dans cette entreprise digne de l’ère maoïste? La raison se trouve sans doute dans le fait que, bien que le rêve révolutionnaire socialiste soit bel et bien mort et enterré en Chine, le nouveau cadre idéologique sur lequel Pékin espère asseoir sa légitimité ne soit pas pour autant moins précaire. Conscient du profond vide spirituel laissé par l’abandon des idéaux communismes et de la fragilité de l'ordre socio-économique créé par la multiethnicité qui caractérise sa société et par un style de capitalisme qui lui est très personnel, Pékin est en quête d’une nouvelle légitimité. La réappropriation de l’héritage confucéen représente un chapitre dans cette saga, la « re-Maoïsation » de la société pourrait aussi aller dans ce sens.

L’entreprise n’est cependant pas dénuée de risque. À mes yeux, Pékin nous offre un niveau d’équilibrisme spectaculaire, d’un niveau de difficulté remarquable. En effet, ériger la statue d’un théoricien du socialisme mondial dans un pays aux prises avec des inégalités sociales colossales représente un tour de force impressionnant. Ériger la statue d’un chef d’état dont le bilan en termes de pertes de vies humaines se compare aux pires dictateurs de l’histoire humaine, et ce, dans un pays n’ayant pas encore posé de second regard sur cette partie de son histoire, requière d’admirables qualités de prestidigitateur. Pour arriver à créer l’illusion, Pékin doit s’appuyer sur un fait fort simple : l’histoire peut parfois avoir une mémoire très sélective!

Dans l’histoire moderne de la Chine, de nouvelles statues « classiques » de Mao firent tout de même leur apparition. En 2006, par exemple, une statue de Mao fut érigée tout près de Lhassa. Cette statue ne se distingue cependant guère des centaines d’autres du même genre et la raison de sa présence au Tibet se passe de commentaires. Ce qui nous intéresse ici est le cas particulier de la tête de Mao de Changsha, différente des statues classiques sous bien des aspects.

En visitant les grandes villes modernes chinoises, la vue d’une de ces anciennes statues de Mao nous rappelle inévitablement une autre époque, le souvenir d’une vieille Chine sous-développée. Ces statues représentent normalement un Mao regardant vers le ciel, victorieux, le bras tendu bien haut, ou encore un Mao surplombant des hordes d’ouvriers en admiration. Elles dépeignent un Mao d’âge mûr, qui semble aussi intelligent que sévère. Si ces statues se veulent des vestiges d’une autre époque, quel symbole pourrait aujourd’hui représenter l’arrivée de cette Nouvelle Chine moderne? La réponse est simple : un jeune Mao! À cet effet, la tête de Changsha représente une première. Cette statue nous offre la représentation de Mao tel qu’il aurait été en 1925, un Mao aux cheveux longs, aux airs raffinés et sophistiqués. Malgré sa jeunesse, Mao semble plus mature que jamais. Le fait que le portrait n’ait sans doute rien à voir avec ce que Mao devait vraiment avoir l’air à 32 ans importe peu. Quoi de plus efficace que de recycler une vieille icône familière à tous, en prenant soin de l’adapter aux nécessités du jour, pour créer un consensus au sein de la société?

Pour être encore plus convaincant, une anecdote historique entoure l’œuvre. De 1913 à 1918, Mao, encore aux études, se serait rendu fréquemment à l’endroit où est aujourd’hui construite la statue pour chercher l’inspiration et trouver la Vérité à propos du sauvetage de la Chine et des Chinois (救国救民). On raconte qu’à cet endroit précis, Mao aurait promis au ciel de détruire le vieux monde pour construire la Nouvelle Chine (砸碎旧世界,建立新中国). Aucune référence aux erreurs de jugement, à la déroute économique, à la famine, aux milliers de morts…

Cette attitude envers l’histoire nous en dit long sur la perception que les Chinois ont dorénavant d’eux-mêmes. Vers la fin du 19ième siècle, avec la rencontre avec l’Occident, un certain déclin identitaire survint en Chine. Les valeurs et l’identité culturelles chinoises ne concordaient soudainement plus avec la vision que la Chine voulait projeter d’elle-même. L’identité chinoise devenait soudainement synonyme de retard. Cette prise de conscience amena la Chine à mettre de côté plusieurs personnages ayant joué des rôles de piliers identitaires pour leur société pendant des centaines, voire de milliers d’années. Tout ce qui ne concordait plus avec la vision que la Chine voulait projeter d’elle-même fut discarté. À cet effet, Confucius est sans doute le meilleur exemple. Au cours du siècle qui suivit, les Chinois cherchèrent inlassablement à répondre à la question : « Comment être moderne tout en étant Chinois? » Mao, qui n’arriva que très timidement à répondre à cette question, subit, bien qu’à un niveau infiniment moindre, plus ou moins le même sort (du moins, de la part des élites dominantes).

L’érection de cette statue laisse cependant croire que la Chine a peut-être finalement trouvé une réponse à cette question centrale. En effet, la vitesse fulgurante à laquelle la Chine se développe depuis les 30 dernières années, combinée à la crise économique qui frappe l’Occident, changent aujourd’hui la façon dont la Chine se perçoit par rapport au monde. À différents degrés, la réponse chinoise pourrait s’articuler de la sorte : « Nous sommes modernes et nous sommes Chinois », ou encore, « Nous sommes modernes parce que nous sommes Chinois », ou tout simplement, « La modernité, c’est la Chine! »

Cette prise de conscience offre une plus grande marge de manœuvre aux idéologues du Parti. Si la modernité devient chinoise, la Chine a donc le monopole de sa définition. Si la Chine devient synonyme de modernité, son passé ne peut plus être considéré comme un synonyme de retard ou d’obstacle. On peut maintenant revoir l’histoire chinoise pour la présenter comme un enchaînement d’événements glorieux menant vers un destin radieux commun. Dans cette optique, après Confucius, qui fut déjà largement réhabilité, qui peut venir incarner le vivant témoignage d’un passé prestigieux et la représentation éminente de la cohésion nationale? Mao Zedong, encore lui! Mais non sans quelques retouches… Ainsi, Mao peut devenir la Chine, et la Chine, le succès, dans une équation qui prend valeur de science. Une fois la déification de cette représentation du passé complétée, les nouveaux leaders n’ont qu’à convaincre la population qu’ils sont les héritiers directs et légitimes de sa pensée et le tour est joué. Après tout, un arbre ne peut atteindre toute sa splendeur sans compter sur de solides racines.

Ce processus de réappropriation historique n’est pas strictement chinois. À cet égard, un éditorial publié dans Le Devoir, en 2007, par Serge Truffaut permet de faire d’intéressants parallèles. Celui-ci écrivait :

Tout a débuté avec cette opinion, et non constatation, stipulant que l'implosion de l'Empire soviétique a été la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle. Cette énormité, Poutine l'a articulée à plusieurs reprises avant de décider la réinstallation, si l'on peut dire, de l'hymne soviétique en tant qu'hymne national de la Russie. Contrairement à l'Afrique du Sud après l'apartheid et à l'Allemagne après le nazisme, les autorités russes ont évité tout devoir de mémoire. En fait, il y a eu des commissions, des enquêtes, mais rien n'a été achevé. Personne n'a été accusé. Résultat...

Résultat, une majorité de Russes croit aujourd'hui que les atrocités commises par Staline ont été exagérées par les Occidentaux, et notamment par les Américains, car les uns et les autres ont toujours pour objectif l'affaiblissement durable de la Russie éternelle. Toujours est-il qu'une fois cette réhabilitation de Staline bien entamée, et bien acceptée par la population, Poutine s'est senti suffisamment confortable pour dédier un musée à Staline.

Plus déprimante est la réaction des jeunes. Si l'on en croit une ribambelle de sondages, plus de 60 % d'entre eux estiment que, Staline ayant fait plus de bien que de mal, il mérite une place au panthéon des grands de l'histoire du pays. Plus de
60 % d'entre eux jugent que les États-Unis sont l'ennemi numéro un du pays. Plus de 60 % pensent, comme Poutine, que l'implosion du bloc soviétique est bel et bien la catastrophe géopolitique du XXe siècle.


À chacun son interprétation de l’histoire, la valeur de ce genre de parallèle est bien entendu limitée. Bien qu’après sa mort, Mao ne fut jamais autant démonisé que ne le fut Staline, le cas russe peut tout de même nous aider à tracer de vagues lignes directrices nous permettant d’anticiper les tenants et aboutissants qu’impliquerait une éventuelle « re-Maoïsation » de la société chinoise.

Conclusion

En s’affirmant sur la scène internationale, la Chine prend de l’assurance. Cette nouvelle posture lui permet de poser un regard nouveau sur son histoire. Cette démarche laisse penser que ce soit sur la solidification d’une identité nationale centrée sur elle-même, sur un héritage, une culture, un folklore et des héros communs que le Parti Communiste entend maintenant fonder une société harmonieuse et ainsi asseoir sa légitimité. Comme le soulignait pertinemment Anne-Marie Thiesse, dans « La Création des Identités Nationales », « le culte de la tradition ainsi que la célébration du patrimoine ancestral ont été un contrepoids efficace permettant aux sociétés occidentales d’effectuer des mutations radicales sans basculer dans l’anomie ». L’histoire pourrait bien se répéter pour ainsi permettre à la Chine de mener avec succès la mutation qu’elle entreprit 30 ans plus tôt avec l’arrivée des réformes.

Il faudra cependant beaucoup plus que l’érection de statues de « super Mao 2009, version améliorée » pour que soit confirmée la thèse voulant le rajeunissement de Mao soit une manœuvre concertée de l’élite politique visant à se réapproprier ses héros à des fins de stabilité politique. La thèse gagnerait en crédibilité si, par exemple, Mao se voyait accorder une nouvelle place dans l’éducation en Chine, comme c’est présentement le cas pour Staline en Russie. Sans le rendre plus présent (Mao occupe déjà un espace considérable, alloué il y a plusieurs années dans une stratégie de façonnement idéologique aujourd’hui archaïque) le gouvernement pourrait bientôt être tenté de rajeunir son approche académique par rapport au Grand Timonier.

À mon avis par contre, la Chine aurait tout intérêt à mettre un peu plus d’emphase sur Deng, et un peu moins sur Mao. Si le gouvernement prévoit mettre en branle une stratégie propagandiste destinée à glorifier la Nouvelle Chine, l’érection de statues à la mémoire de Deng serait sans doute beaucoup plus logique, légitime et facile à défendre.

Charles Hudon, à Kunming

1 commentaire:

Olivier VEROT a dit…

Je suis d'accord avec vous, la Chine devrait communiquer plus sur Deng qui a une bonne image à l'occident que sur Mao.

Mao on se rend compte n'est pas un vra héros en Chine alors que Deng xiao ping c'est un vrai génie.

Je vien sd edécouvrir votre blog. Très bon blog au passage