lundi 13 juillet 2009
De la vie au-delà de la démocratie libérale
Depuis la chute du mur de Berlin, rien ne semble exister au-delà des frontières du libéralisme démocratique. Joyau de la couronne, ce système est fréquemment présenté comme l’idéal politique appelé à conquérir le monde. Lorsqu’il est question de l’évolution que devrait prendre le système politique en Chine, la même logique s’applique. Pour de nombreux politicologues qui suivent la question de près, si la démocratie libérale ne s’est pas encore implantée en Chine, il ne serait question, au mieux, que d’un retard, au pire, d’une exception qui confirme la règle.
Alors que tant de différences existent dans le monde au niveau des cultures, des valeurs, des économies et des stratégies de développement rattachées aux spécificités de chaque pays, il paraît difficile d’imaginer qu’un seul système d’organisation politique puisse servir de prescription unique à l’ensemble des pays. Au moment même où il apparaît évident que l’Occident a failli à sa tâche de gendarme et de banquier mondial ainsi que de phare pour la culture et la morale planétaire, il serait peut-être pertinent d’explorer certaines alternatives qui sortent du modèle d’organisation politique proposé par l’Ouest. En Chine, un penseur travaille dans ce sens : Jiang Qing.
Jing Qing rejette d’emblée l’option « démocratie libérale ». En fait, il rejette l’ensemble des modèles politiques projetés par l’Occident, ce qui inclut évidemment le communisme. Selon lui, un système politique jugé légitime devrait prendre racine dans les traditions chinoises. Ce faisant, il se tourne naturellement vers le confucianisme.
En 2003, il publie Political Confucianism, livre qui est depuis considéré comme la défense la plus influente du confucianisme comme philosophie politique moderne (cet ouvrage n'a malheureusement pas encore été traduit en anglais). Jiang Qing est perçu comme un confucianiste orthodoxe, même si certains vont jusqu’à le qualifier de « fondamentaliste ». À moins d’informations contraires, après avoir été disponible pendant quelques mois, son livre serait aujourd’hui interdit en Chine.
La réflexion de Jiang Qing débute par un constat aussi simple qu’audacieux : « le parti communiste chinois, s’appuyant sur une idéologie qui prend racine en Occident, n’a pas la légitimité requise pour gouverner. » Jiang déplore le fait qu’à l’heure actuelle, au sein des élites intellectuelles chinoises, la démocratie libérale semble être la seule alternative possible à cette crise de légitimité, alternative qui ne ferait que changer les maux sans pour autant éliminer le mal. Selon Jiang, le système chinois de gouvernance devrait absolument se baser sur les traditions chinoises. Ce n’est qu’en reconstruisant des institutions qui s’appuient sur le confucianisme que la Chine pourra retrouver la voie du bien commun : une voie proprement chinoise, qu’il prétend supérieure à celle de la démocratie libérale occidentale. Jiang prône l’adoption du confucianisme comme religion, idéologie et système politique en Chine.
Jiang se montre favorable à un système qui garantirait la bonne gouvernance, et non à un système démocratique. Dans le système qu’il propose, une importance particulière est accordée à la vertu. Selon Jiang, la légitimité populaire représente un outil fort inefficace dans la quête vers l’idéal vertueux. Ne laisser qu’à la population le soin de choisir ses dirigeants mettrait en péril la dimension morale des décisions à prendre. Comme la nature humaine est égoïste, ces décisions ne seraient mises qu’au service de l’intérêt de la majorité. Pour cette raison, la légitimité civile ne suffit pas à établir et à conserver un ordre social constructif. Afin de palier à ce manque, Jiang propose une organisation gouvernementale qui tirerait sa légitimité d’un système législatif à trois chambres mutuellement contraignantes.
La première chambre, la chambre démocratique, serait constituée de députés élus au suffrage universel. La deuxième, la chambre de la méritocratie, serait formée de députés choisis grâce à la restauration du système traditionnel d’examen qui mesurerait le niveau de connaissances des classiques confucéens. Pour ce qui est de la troisième chambre, la chambre de la continuité historique, elle serait composée essentiellement de nominations politiques visant à représenter la diversité des traditions et des groupes ethniques. Dans l’éventualité où les trois chambres n’arriveraient pas à s’entendre, c’est la chambre de la méritocratie qui aurait préséance. Jiang affirme qu'une telle structure permettrait d’éliminer bon nombre d’erreurs inévitables dans le cadre d'un système uni-légitimaire.
À mon avis, l’attrait de la proposition de Jiang Qing se situe strictement au niveau du système politique proposé pour la Chine. Dès qu’il sort de ces limites, son argumentation devient plutôt discutable. Par exemple, dans le blog "Inside-out China", Xujun Eberlein nous offre une traduction inédite d’une partie d’une conférence donnée par Jiang Qing au cours de laquelle il expose sa vision du rôle que devrait jouer la femme dans une société confucéenne. Sur cet aspect encore, la vision de Jiang se distingue des politiques poursuivies par Pékin. Selon la logique confucéenne, la femme et l’homme, tout comme le ciel et la terre, ont tous deux une fonction précise à remplir, sans qu’il ne soit cependant question d’égalité. Offrir à la femme la possibilité de jouer un rôle identique à celui de l’homme reviendrait à étouffer sa spécificité selon des standards masculins normatifs impropres à l’ordre naturel des choses. Ainsi, l’emphase devrait être mise sur la différence plutôt sur une égalité qui se limite à faire jouer à la femme le rôle de l’homme. Mais Jiang reste catégorique, c’est l’homme qui doit diriger, aussi bien au sein de la société qu’à l’intérieur de la vie famille. Le jour ne peut être remplacé par la nuit, et vice versa.
Le fait que Jiang essaie constamment de justifier la pertinence de son modèle en l’opposant, de manière souvent très inhabile, à la démocratie occidentale, ne fait rien pour apporter de la crédibilité à sa théorie. Par exemple, l’omission d’une définition claire du concept de démocratie l’amène à parler de la démocratie représentative occidentale comme s’il était en fait question de démocratie directe athénienne. Par ailleurs, l’argument qui voudrait que la démocratie ait un caractère strictement occidental ne fait pas nécessairement l’unanimité (et n’ajoute rien à son propos). Alors que la Grèce est généralement créditée pour l’invention de cette dernière, les Phéniciens, certaines cités-états Sumériennes ainsi que différentes parties de l’Inde faisaient aussi, à une même époque, l’expérience de systèmes démocratiques primitifs. D’une manière générale, le désir des peuples à l’auto-détermination semble davantage être une constante chez l’être humain qu’un simple facteur culturel ou géographique.
Loin d’être parfait, la proposition de Jiang a au moins le mérite de sortir du carcan « démocratie libérale » pour faire une contribution originale au débat politique entourant la crise de légitimité du Parti Communiste Chinois. Jiang s’étend sans doute un peu trop mais, sur le plan de l’institution gouvernementale, il propose assurément des mesures concrètes susceptibles de fournir des solutions aux lacunes du système actuellement en place.
Charles Hudon, à Montréal
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