mercredi 5 janvier 2011

Discours du Péril Jaune

Un texte de François Lachapelle

Depuis quelque temps, on assiste à un retour en force de la théorie du Péril jaune, principalement sous la forme de dragon économique et du dragon idéologique. Le 2 décembre dernier fut une journée faste. Le matin dans La Presse, Lysiane Gagnon dans son article "Les ravages de Wikileaks" met du piquant dans sa critique du Wikileaks en lançant : «On a presque envie de leur souhaiter, à ces esprits irresponsables, de vivre un jour dans un monde où l'unique super-puissance sera la Chine ou la Russie (...), et où les valeurs dominantes seront celles du totalitarisme.»



Le midi je reçois la nouvelle édition du journal Les Affaires. En page 3, Michel Maziade, directeur scientifique à l’Université Laval, parle de la science et la recherche en Chine. La question du journaliste : «faut-il avoir peur de la Chine?» à laquelle Docteur Maziade répond : «Oui, il faut avoir peur de la Chine ». Plus loin alors que Docteur Maziade explique que la Chine nous pousse à revoir nos politiques scientifiques, il termine l’entrevue avec : « Si on ne fait rien pour valoriser la science et si on ne développe pas de créneaux d'excellence, on s'appauvrit et on perd la guerre économique.».

Dans les deux cas j’étais tout à fait d’accord avec le contenu, l’argumentation déployée par l’auteur, c’est le contenant, la stratégie discursive mobilisée qui m’inquiéta. Un peu plus loin toujours dans Les Affaires, trois pages sur l’espionnage commercial, «Attention, un espion vous guette». Aucune mention sur la Chine, cependant à la page 13 qui se veut un cours d’espionnage 101 en dessin, les personnages sont tous des Asiatiques.

La mémoire collective surfe encore sur la vague actuelle du péril jaune qui revient en force lors de creux économiques. Vague qui remonte à 1999. Cette année-là, le scientifique américain d’origine chinoise et fonctionnaire du gouvernement fédéral, Wen Ho Lee, fut accusé d’avoir laissé échapper des secrets nucléaires vers son pays d’origine et passa neuf mois en cellule d’isolement jusqu’à ce que l’accusation, en définitive, abandonne pratiquement toutes les charges à son encontre. Durant ses neuf mois de détention, un ancien agent du FBI allait jusqu’à suggérer qu’il était raisonnable d’estimer à 100,000 le nombre de Sino-Américains travaillant comme agent de renseignements pour la Chine. On raconta même que de jeunes Chinoises très attrayantes et pulpeuses, mais surtout espionnes pour le compte du gouvernement de Beijing, une fois naturalisée américaine, se trouvaient un mari industriel, scientifique ou fonctionnaire bien placé afin de mieux perpétrer ses actes d’espionnage industriel.

Il est intéressant de noter que pendant que la Chine maoïste était en pleine Révolution Culturelle (1966-76), les représentations agressives du Japon reprirent vie en Amérique et en Europe. Au seuil des années 1970, l'évocation du miracle économique japonais ne tarda pas à devenir l'expression la plus récente et la plus objective du nouveau péril jaune. «Ainsi renaissait l'hydre nippone qui déjà épouvantait les Européens durant l'entre-deux-guerres : le miracle japonais, le défi japonais, le siècle du Japon : c'est par ces titres-chocs que le monde a soudain pris conscience du poids spécifique atteint par le pays du Soleil-Levant au bout de vingt années d'efforts acharnés, mais discrets.» On pouvait apercevoir sur les autoroutes américaines des multitudes de titres-chocs accrochés au pare-choc de «pick-up» de la côte ouest disant : Toyota - Datsun - Honda - et Pearl Harbor.

On voit à la lumière de ces deux vagues que le facteur économique semble diriger le mouvement du balancier. Plus près de nous, ce qui est inquiétant c’est quand des journalistes et des scientifiques mobilisent le discours du péril jaune pour servir leur fin : argument-choc, conscientiser, etc. Il est encore plus inquiétant quand ces derniers ne semblent pas réaliser ce qu’ils font.

Il est indéniable que la Chine pose des défis à nos sociétés, à nos économies, à nos acquis. Dans cette situation, le discours de menace, de guerre, du péril jaune peut servir à mobiliser, conscientiser les décideurs, les leaders d’opinion et la population, mais elle construit et nourrit aussi une attitude de méfiance envers la Chine. Comme les idées reçues ne disparaissent pas avec le mouvement du balancier, à terme de telles stratégies discursives ne peuvent aucunement servir nos intérêts. Le rôle de la Chine dans le monde globalisé est en train de changer et nous pouvons jouer une influence constructive.


PS. Dans son édition récente (4-10 décembre), The Economist présente un rapport de 14 pages sur les dangers d’une Chine montante.

PPS. La journaliste de La Presse, Lysiane Gagnon avec qui j’ai eu quelques échanges par courriel pour le moins musclés dans les heures qui ont suivi ma lecture de son article du 2 décembre change de ton dans la conclusion de son papier du 11 décembre : «Mais la Chine surprendra toujours tant ses admirateurs que ses critiques. Aussi est-il bien imprudent de prédire son avenir...» Un retour à un discours raisonné.

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